Des images parfois « colorisées »

Dans les années charnières entre le XIXème et le XXème siècle, l’impression de livres en couleurs représentait une innovation technique et un argument éditorial. Et c’est dans cette période que Notor proposa des images colorisées pour des articles du Figaro illustré ou de Paris illustré (en 1897, 1898, 1904), pour Lysistrata (1898), dans son propre ouvrage La Femme dans la Grèce antique (1901), et pour les Aventures d’Aristonoüs (1919).

Eugène Fasquelle, l’éditeur de Lysistrata, soulignait sur la page de couverture que son édition était « ornée de 107 gravures en couleur par Notor » et ce volume paraît en effet dans la collection « Polychrome ». Un « Avant-propos » soulignait le caractère archéologique de cette polychromie :

« L’illustration de cet ouvrage est entièrement empruntée aux monuments de la céramique grecque dispersés dans les musées d’Europe et dans les collections particulières. (…) La polychromie, qui joue un rôle si important dans l’art antique, est devenue pour Notor, en ce qui concerne les dessins hors-texte, un motif à restitutions archéologiques, cependant que les dessins courant dans la lettre conservent leur original ton de monochromie rouge sur fond noir. »(5)

La « colorisation » se traduit par l’adjonction de touches roses, vertes, jaunes et bleues comme sur cette image ainsi légendée : « Chœur de vieillards ‘Quelle révoltante insolence’ Pinacothèque de Munich » :

Il en est de même pour cette autre image :

Une photographie de ce même vase permet de mesurer ce que le dessin fait gagner en clarté et lisibilité. Les déformations visuelles liées à la courbure du vase sont corrigées. Mais nous remarquons les licences prises par le dessinateur, qui ne se marquent pas seulement dans la colorisation mais aussi dans certaines restitutions et certaines disparitions .(6)

Dans le livre La Femme dans la Grèce antique, publié en 1901, la colorisation est discrète. Notor a fait rajouter des rehauts blancs ou rouge foncé sur des colliers, des bandeaux, des bracelets, des éléments de mobilier ou d’architecture. On remarque sur cette gravure représentant la naissance d’Athéna sortant de la tête de Zeus qu’ont été ainsi colorisés en rouge les noms inscrits dans le champ, les couronnes d’Héphaïstos et de Zeus, le bandeau et les bracelets d’Artémis, à droite :

Autre exemple, cette scène donnée pour un moment de bonheur conjugal (p. 81), où l’on remarque la colorisation rouge du matelas et les touches blanches posées sur les bases des pieds du lit, sur la boîte, sur l’instrument de musique, sur les bracelets et le collier de la femme, sur l’oiseau, etc.

C’est pour les Aventures d’Aristonoüs de Fénélon que Notor se livra aux essais de colorisation les plus audacieux. Le livre est édité en 1919 comme un livre d’art. Le prospectus de présentation de l’ouvrage soulignait l’apport de cette illustration :

« C’est pour la première fois que les Aventures d’Aristonoüs sont illustrées d’après le système archéologique. Cette illustration, dont on a voulu faire une traduction vivante de la pensée de Fénelon, est toute à la gloire de l’art antique et du génie grec. Nous n’avons pas craint d’appeler ici la couleur à notre aide et de reproduire cette polychromie qui joue un rôle si important dans l’architecture et la sculpture hellénique ».

Notor propose entre autres cette image à figures noires (« Esclaves aux champs »)… qui prend une allure nouvelle avec son fond jaune et ses rehauts rouges (p. 43) :

Trente ans plus tard, l’image devait trouver dans l’Odyssée (p. 193) une présence plus sobre :

« Dans la jachère, les boeufs ont traîné tout le jour la charrue d’assemblage » Chant XIII. 32-33. Peinture d’une kylix archaïque à figures noires trouvée à Vulci (Musée de Berlin.)

Dans les Aventures d’Aristonoüs, le traitement le plus spectaculaire se trouve dans l’image qui occupe toute la première page intérieure, avant la page de titre. Notor était parti ici d’une figure qu’il avait publiée sous la forme ci-dessous en 1901 (La Femme dans l’Antiquité grecque, p. 15), avec cette légende : « Minerve enseignant l’écriture à Palamède. »

Dans les Aventures d’Aristonoüs, Notor reprend donc cette image en la colorisant dans un « essai de polychromie dans le goût antique ».

L’image est par ailleurs resserrée sur la figure d’Athéna et inscrite dans un cadre architectural souligné par un jeu de frises. L’inscription (ho pais kalos —le bel enfant—) est supprimée et Notor ajoute cette branche d’olivier posée dans le champ, par laquelle il souligne l’identité de la déesse.

On trouve ce commentaire dans les notes explicatives des figures (p. 107) :

« MINERVE ECRIVANT L’HISTOIRE

Minerve est debout, revêtue d’une double tunique plissée sur laquelle se rabat l’égide, la tête couverte d’un casque, sa lance posée sur sa poitrine, tandis que son large bouclier argien, qui a pour épisème un serpent, est appuyé contre ses genoux ; elle tient de la main gauche des tablettes ouvertes et de la main droite un style avec lequel elle écrit l’histoire.

Peinture d’une amphore de Nola à fig. rouges (anc. collection de M. le duc de Luynes ).

—Cabinet des médailles à Paris. —Encadrement rapporté et essai de polychromie dans le goût antique. — Dessin de Notor. »

Le résultat est étonnant, pas très heureux sans doute pour notre goût d’aujourd’hui, mais certainement dans le goût du temps (on pensera par exemple aux découvertes d’Arthur Evans sur le site de Cnossos et à sa manière de reconstituer le palais et de lui redonner des couleurs).

Quant au nouveau cadre architectural qui accueillait ici la déesse, il ne relevait pas de la seule imagination de Notor, comme on aurait pu le penser ; il lui avait été en effet inspiré par un vase dont il avait publié antérieurement la gravure, elle aussi colorisée (mais plus discrètement : par l’adjonction de touches blanches), dans les Chansons de Bilitis (p. 19). Elle y accompagnait le poème intitulé « Le Cœur » :

Une remarque complémentaire : C’est la ceinture suspendue dans le champ inférieur gauche de l’image qui semble avoir inspiré à Notor l’adjonction d’un rameau d’olivier dans son image d’Athéna « écrivant l’histoire ».

LE CŒUR

Haletante, je lui pris la main et je l'appliquai fortement sous la peau moite de mon sein gauche. Et je tournais la tête ici et là et je remuais les lèvres sans parler.

Mon cœur affolé, brusque et dur, battait et battait ma poitrine, comme un satyre emprisonné heurterait, ployé dans une outre. Elle me dit : «Ton coeur te fait mal...»

«O Mnasidika, répondis-je, le cœur des femmes n'est pas là. Celui-ci est un pauvre oiseau, une colombe qui remue ses ailes faibles. Le coeur des femmes est plus terrible. Semblable à une petite baie de myrte, il brûle dans la flamme rouge et sous une écume abondante. C'est là que je me sens mordue par la vorace Aphroditê. »

La couleur blanche met en valeur la colombe, les colonnes, une partie de l’architrave… et l’encadré présentant le texte « Une colombe qui remue ses ailes faibles ».

Cette même gravure était d’ailleurs reprise dans les Aventures d’Aristonoüs (p. 73), avec une colorisation ocre-orangé qui remplaçait la couleur rose, et un blanc plus marqué, dans une mise en page enrichie par l’adjonction d’une frise de feuillage (dessinée aussi par Notor). Et l’image prenait dans ce contexte un sens nouveau : « Le repos dans la mort ».

(5) Cet Avant-Propos est signé d'une initiale « N. » qui semble désigner Notor.

(6) Coupe du musée de Berlin, ARV2 462, 48, dans La Cité des Images, Religion et société en Grèce ancienne, Nathan, 1984 (p. 146).

© 2008 Association des études homériques