M. François Aussaresses projette sur l’écran de la Faculté des Lettres
Les scènes de l’Iliade et de l’Odyssée
illustrées par le vicomte de Roton
à l’aide de la céramique grecque
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Ce n’est pas, en effet, une conférence avec projections : mais des projections avec conférence qu’a données, samedi, à la Faculté des lettres, M. François Aussaresses, sous les auspices de l’Association Guillaume-Budé. Heureuse formule journalistique- de l’image assortie de légendes, parlant aux yeux et rompant la monotonie d’une lecture trop souvent en grisaille.
Ah ! l’éblouissant lever de rideau offert aux regards enchantés des spectateurs budistes par ce lever de soleil en quadrige bondissant de la mer vers le ciel ! La belle sonorité de couleurs évocatrice de l’« Allegrio con brio » de la sonate « L’Aurore » de Beethoven, ce passionné d’Homère dont l’ « Odyssée » faisait les délices !
Non certes, tous les textes ne sont pas également illustrables. La pensée comporte des infra, des ultra, des extra échappant à l’expression plastique, accessibles seulement à l’expression musicale. Telle scène pathétique des adieux d’Andromaque et d’Hector, assez gauchement rendue par l’archaïque céramiste du VIe siècle avant notre ère.
Mais du VIe au Ve siècle, du siècle de Pisistrate au siècle de Périclès, de la céramique à figures noires à la céramique à figures rouges, l’art grec fait un pas de géant, le même que fit l’art français du roman sévère à l’ogival flamboyant. Témoin le défilé mirifique des chevaux, taureaux et lions dignes du pinceau des meilleurs animaliers : témoin les matches de lutte et les compétitions olympiques des sports les plus divers ; -témoin les marches militaires, les combats de cavalerie, les mêlées générales d’hommes, de chevaux et de
chars évocateurs des mémorables journées des guerres médiques ; -témoin le suave contraste des scènes familières des rencontres d’Ulysse avec les plus
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belles femmes de son temps, exquisement dessinées par des céramistes amoureux.
De scène en scène, le défilé enchanteur nous amène au chœur des muses, alignées dans des poses d’une ineffable sérénité. Et c’est en finale sur la musique même d’un dialogue de Platon, l’enlèvement vers son paradis natal du corps de Sarpedon, par les génies ailés du Sommeil et de la Mort. Scène d’une envolée idéaliste combien plus émouvante que les descentes de croix, mises au tombeau et réalistes Piéta modernes.
Cette apothéose d’Homère par la céramique grecque, comment l’idée en est-elle venue au vicomte de Roton,
son prestigieux réalisateur ? Le parrainage en appartient à Leconte de Lisle et à J. M. de Hérédia, l’un et
l’autre fervents hellénistes qui rencontrant un jour le jeune chartiste Roton sous la coupole du Sénat ornée de
l’« Apothéose d’Homère » par Delacroix, l’engagèrent à sélectionner dans le trésor de la céramique les œuvres
les plus illustratives du texte sacré. Ce fut dès lors, soixante années de rang à travers les cinquante mille
céramiques éparses par le monde, la délicate sélection des deux milliers d’homérides et le surchoix des plus
aptes à l’édition ; puis le dessin à plat des figures prises sur les surfaces courbes des vases ; enfin la
reproduction en couleur sur les presses bordelaises de la maison Delmas, et , entre temps, les références
aux vers d’Homère et leur traduction, en anglais et en espagnol : l’édition trilingue des deux albums préfa
cés par Paul Claudel, de l’Académie française et J.-P. Alaux, de l’Académie de Bordeaux, étant destinée à une diffusion mondiale.
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Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon
L’ « Iliade » et l’ « Odyssée » d’après la céramique grecque
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M. le vicomte de Roton, demeurant au château de Rayne-Vigneau, près de Sauternes, et que ses attaches familiales dijonnaises font suivre avec intérêt les travaux de notre Académie, vient de faire don à celle-ci de deux splendides volumes de son œuvre : « l’Iliade et l’Odyssée illustrées d’après la céramique grecque », préfacée par Paul Claudel.
M. le vicomte de Roton bien connu dans les lettres sous le pseudonyme de Notor est à la fois un grand érudit et un prestigieux artiste dont les dessins pris directement par lui-même sur une incomparable série de vases grecs ont servi à donner aux deux volumes une magnifique illustration sans analogue dans le monde des arts.
M. Martin, professeur à la Faculté des lettres, helléniste réputé, présente en ces termes l’œuvre de M. de Roton :
« Quel est le lecteur des grands poèmes homériques qui n’a rêvé en fermant son Odyssée de poursuivre son évocation au-delà des textes et de pénétrer les traits, les gestes, l’existence de ses héros dans lesquels la légende se fond insensiblement dans la réalité ? Les deux beaux ouvrages du vicomte de Roton (alias Notor) consacrés à l’Iliade et à l’Odyssée ouvrent les portes de cette féerie. Les plus beaux passages du poème, les scènes les plus violentes et les plus poétiques, les personnages les plus familiers sont là présents au rendez-vous grâce au talent admirablement précis de Notor qui, depuis 50 ans, a choisi parmi des milliers de vases grecs les représentations les plus évocatrices ; il a dessiné plus de deux mille scènes parmi lesquelles son choix éclairé a distingué les plus aptes à l’édition. Présentées en deux albums, elles suivent le déroulement du grand poème, classées par chants elles aussi, avec une rubrique en trois langues et avec référence précise aux vers qui les ont inspirées. Plus encore que le bibliophile charmé par le beau travail des éditions Delmas, l’helléniste apprécie la valeur et le sens de cette belle œuvre.
« Il n’oublie pas la place importante que les poèmes homériques ont occupée dans la formation
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intellectuelle et morale du jeune Grec ; ils n’étaient pas seulement une grande œuvre de poésie, ils étaient aussi un livre sacré où l’enfant apprenait à lire, le livre de morale où l’éphèbe puisait les beaux exemples de courage ; pratiqués et commentés dans les écoles, ils accompagnaient l’adulte tout au long de sa vie.
« Car les scènes familières du poème, les actions des héros, les traits de ses personnages favoris étaient devenus, pour le citoyen grec, une réalité vivante grâce au pinceau des peintres et, plus encore des décorateurs de vases, grâce aussi au ciseau des sculpteurs. Les vers de l’aède aveugle avaient inspiré leurs sujets aux plus grands artistes de la Grèce. Le vicomte de Roton n’a-t-il pas retrouvé le sens et l’esprit de la culture grecque, de la véritable formation des esprits athéniens du Ve siècle avant Jésus-Christ en mettant sous nos yeux cette admirable galerie de personnages : hommes et femmes, dieux ou humains engagés dans les combats des plus ardents ou détendus et souriants dans les scènes les plus charmantes ? Et n’a-t-il pas en même temps répondu à l’appel des tendances les plus profondes de l’esthétique grecque ? L’œuvre d’art est une synthèse où la création poétique rejoint son illustration plastique ; le peintre et le poète s’unissent pour l’évocation de ce monde épique où les gens aimaient aller chercher les types les plus représentatifs de leur race, ceux où ils se plaisaient à reconnaître leurs qualités et, ils l’avouaient, leurs défauts.
« Belle leçon d’art en notre siècle de spécialisation excessive. L’équilibre n’est atteint qu’au prix de cette double inspiration, toute œuvre intellectuelle comporte une correspondance plastique ; le génie grec avait trop le sens de la forme et le besoin des expressions concrètes pour se contenter de la poésie pure. L’œuvre de Notor rétablit cet équilibre et fait défiler devant nos yeux ce monde des formes dans lesquelles s’achève l’œuvre du poète ; n’hésitons pas à lui dire toute notre admiration car il a bien mérité de l’humanisme. »
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Notre collaborateur, François Aussaresses parle en Sorbonne
des images de l’« Iliade » et de l’« Odyssée » dans la céramique grecque
(De notre rédaction parisienne)
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Paris, 29 janvier. —Présenté par M. Chapouthier, ancien élève du lycée de Bordeaux, directeur de l’Ecole normale supérieure, et devant un amphithéâtre bondé et enthousiaste où l’on remarquait notamment M. l’ambassadeur Léon Bérard, de l’Académie française ; les représentants du secrétaire d’Etat à la marine marchande et du député –maire de Bordeaux ; M. le préfet Thomé, le général et Mme Duché, la comtesse de Bournazel, etc., etc., notre éminent collaborateur et ami, M. François Aussaresses, a fait mardi, en Sorbonne, sous les auspices de l’Association Guillaume-Budé, une remarquable conférence sur le livre que le vicomte de Roton, vieux gentilhomme girondin, a composé dans le calme de sa retraite du château de Reyne-Vigneau (sic) sur « les Images de l'« Iliade » et de l’« Odyssée » dans la céramique grecque » (éditions Delmas).
Neveu de ce vicomte de Marcellus qui donna la Vénus de Milo à la France, M. de Roton, encouragé par Leconte de l’Isle et José-Maria de Hérédia, et appuyé par Jean-Paul Alaux et Paul Claudel, a consacré vingt-cinq années de sa longue carrière à reproduire quelque deux mille sujets des poteries des artisans hellènes, s’appliquant à faire la conjonction entre ces motifs et les textes d’Homère. De ce travail herculéen est sortie l’œuvre dont des projections bien choisies et les explications débordantes d’érudition de M. Aussaresses nous ont permis d’apprécier les exceptionnelles qualités.
Et c’est bien à un humaniste de la valeur de notre confrère, qui s’est toujours attaché à démontrer l’actualité et l’éternelle jeunesse de textes anciens qu’il appartenait de parler de cet ouvrage. Outre son vaste savoir, ne semble-t-il pas
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destiné par son physique même, à apporter commentaires et jugements sur un tel monument, lui dont les traits sont à la fois ceux d’un dieu Terme, d’un philosophe athénien et d’un Sforza de la Renaissance ?
Tandis que se succédaient sur l’écran des images d’une vie intense et d’une inégalable justesse de mouvement— mon pauvre Picasso, dont le nom est déjà une sorte de diminutif, que vous êtes un petit bonhomme tout de même !— le conférencier faisait une éblouissante leçon sur les origines et l’évolution de la céramique grecque. Mêlant heureusement la science du lettré à la perspicacité et à l’esprit critique du journaliste, il indiquait entre cent autres sujets de méditation comment, dans telle scène des adieux d’Hector à Andromaque, pouvait se deviner l’amorce de l’image cinématographique, comment ce triomphal envol du char d’Apollon avait pu inspirer Beethoven, comment la rencontre d’Ulysse et de Nausicaa n’avait été somme toute, qu’une apparence de surprise-party, avec l’intermède de la jeune vierge jouant au volley-ball avec ses compagnes ; comment encore, l’émouvant tableau de la mort de Sarpédon, enlevé par les génies ailés Hypnos et Thanatos, annonçait, par delà les âges, l’invocation « in paradisium deducante angeli » de la liturgie chrétienne et se retrouvait dans le « Requiem » de Gabriel Fauré.
Quel consolant répit, en nos obscures journées, que de suivre M. Aussaresses et le vicomte de Roton aux sources des certitudes immortelles de l’art et de la pensée antiques.
Y. B
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